Première journée du thème ART, POUVOIR ET CONTESTATION :
L’art comme un moyen de s’évader et de libérer les autres ?
Deux documentaires nous apportent, avec humour et gravité, leurs regards sur «Â à quoi ça sert l’art ? », pas forcément à rien… À VOUS DE VOIR !
LES PRISONNIERS DE BECKETT (Documentaire de Michka Saal 2005) raconte une histoire époustouflante, trop folle pour être vraie, et pourtant…Cela s’est déroulé en Suède, à la Prison de haute sécurité de Kumla, une rencontre entre un homme de théâtre passionné, Jan Jonson, et cinq détenus résignés. Chacun raconte l’histoire telle qu’il l’a vécu.
Dès la lecture de la pièce «Â En attendant Godot » de Samuel Beckett lors de l’atelier de théâtre à Kumla, les prisonniers ressentent une lueur d’espoir, le théâtre permettant de «Â sortir de soi, d’entrer dans un environnement différent », mais aussi une profonde douleur car c’est «Â l’histoire de ma foutue vie, répétant, derrière le mur, ce silence total ». Un moyen de s’évader mais aussi incarnation dans une pièce de théâtre de leur enfermement.
C’est un enfermement terrible de béton car «Â le béton de la prison a besoin d’eau », «Â alors il suce toute l’eau de ton corps, il suce ta vie ». Comme le sujet de la pièce, «Â on attend toujours quelque chose en prison, il faut vivre l’attente ».
Un sentiment profond de fraternité est né entre les détenus et le metteur en scène car «Â personne ne croyait en nous, sauf lui ». Le rôle devient une raison de vivre pour le détenu apprenti acteur.
Après la première représentation en prison, devant plus de 300 personnalités artistes reconnus, le retentissement est tel que Jan Jonson reçoit un télégramme de Samuel Beckett, en personne, qui le somme de le retrouver à Paris pour le remercier de ce «Â qu’est devenue ma pièce par ccux qui vivent dans le noir ». «Â Quoi qu’ils aient fait avant, je serai toujours de leur côté ».
Pour poursuivre l’aventure, la troupe de théâtre va bénéficier d’une chance incroyable en la personne d’un Directeur de prison atypique qui chante Franck Sinatra devant la caméra et qui se déclare pour l’ouverture. Il dit OUI pour les tournées de théâtre hors les murs de la prison. Alors, le directeur de la sécurité, qui doit surveiller les détenus comédiens, devient aussi chauffeur et machiniste de la troupe : INCROYABLE !
Pour ceux qui ont assisté à leurs représentations :
«Â Ils étaient les personnages. Ils n’étaient donc pas doués que pour le crime »
Pour les prisonniers acteurs : «Â Sur scène, on croit que l’on peut réussir l’impossible »
«Â Mais on n’a rien obtenu en échange, que l’illusion de la liberté » Le retour à la prison était d’autant plus terrible, comme cette réaction inouïe de bêtise gratuite quand les gardiens s’acharnent à détruire tous les cadeaux, journaux et magazines célébrant le succès des détenus dès qu’ils refranchissent la porte de la prison, après leurs deux premières représentations à l’extérieur.
Alors, l’évasion sur scène ne suffit plus. Les cinq détenus s’évadent, taraudés chacun par le remords d’avoir laissé tomber Jan mais c’est la seule issue possible.
L’expérience théâtrale leur a été utile pour la poursuite de leur vie et le regard qu’ils portaient sur eux-mêmes :
«Â Je ne me considérais pas comme un criminel avant d’aller en prison, j’aurais du, cela m’aurait éviter d’y aller », un éveil de lucidité sur soi qu’il n’aurait pas eu sans le théâtre.
Chacun des anciens prisonniers, après leur cavale, s’est bien débrouillé dans la vie, ce qui fait s’interroger sur l’utilité des longues peines. Cela renvoie aux questions posées lors du débat «Â Prison toujours plus », samedi 4 juillet au FESTIVAL.
Pour l’homme de théâtre passionné et authentique, Jan Jonson, il a reçu une formidable récompense , celle de la reconnaissance unique de l’auteur Samuel Beckett : «Â Votre travail c’est ce qui est arrivé de mieux à ma pièce ».
BABEL CAUCASE TOUJOURS ! (Documentaire de Mylène Sauloy 2008) nous fait vivre le cheminement d’une caravane de l’espoir, sur 12 000 kilomètres parcourus, de la France à Grozny, en Tchéchénie. 50 artistes se lancent dans un pari, une utopie pour tenir la promesse qu’ils avaient il y a 6 ans : «Â nous viendrons vous voir chez vous ».
Au Théâtre du Soleil en 2002, après avoir franchi les combats dévastant leur terre, les jeunes danseurs caucasiens de Crozny donnent un spectacle puissant, nourri par leur rage de vivre, comme leur a demandé le chef de la troupe : »Dansez jusqu’à ce qu’ils ne restent plus une seule planche sur scène ! ».
La caravane BABEL CAUCASE est un élan de générosité, de solidarité culturelle entre la France et le Caucase pour les libérer de leur enfermement dans ce territoire, la Tchéchénie.
Des images d’archives, en noir et blanc, décrivent l’infinie solitude d’un peuple acculé au milieu des ruines , telle la salle de répétition dévastée, le danseur prend la pause et continue à danser entre les miroirs brisés. C’est la seule liberté qui lui reste.
La caravane est chargée de cadeaux pour les jeunes danseurs de Grozny.
Lors de l’étape en Géorgie, les artistes sont accueillis par un festin de douze plats, en échange, la caravane offre une fête foraine pour les enfants, puis de jeunes adolescents présentent une pièce de théâtre en français.
«Â On a l’impression de vous connaître depuis cent ans tant vous êtes généreux » s’exclame une femme.
Toutes les générations, dans les spectacles itinérants, plus ou moins improvisés, partagent leurs arts et leur histoire par la danse et le chant.
Préserver le folklore est un moyen crucial pour sauver leur culture, sauver leur peuple du Caucase mais aussi, en perpétuant le partage, pour qu’ils continuent à vivre ensemble, en paix.
L’enfermement économique causé par le blocus soviétique de la Géorgie entraîne la désespérance, la détresse tintée d’humour des paysans et des vignerons. Tout cela, «Â c’est parce que Poutine n’aime pas le vin ». Le rire libère…
Et puis, soudain, ue coup d’arrêt à la caravane est donné par un ordre inattendu de la France ou de la Russie, qui fut vraiment le responsable ? La caravane ne pourra atteindre son but, elle devra rester au bord de la frontière entre la Tchéchénie et la Russie sans pouvoir la franchir.
Enfermement toujours… Alors quelques camions du convoi rencontrent au bord de ce mur invisible quelques Tchéchènes et géorgiens en leur transmettant les quelques cadeaux qui seront transportables vers ceux, les jeunes de Grozny, pour qui ils étaient destinés. Des spectacles forains s’improvisent dans les bois.
Ravalant leur déception, les artistes de la caravane rebroussent chemin et se dirigent vers la Pologne où ils peuvent rencontrer des familles tchéchènes, enfermées, cette fois-ci, dans des sortes de camp de rétention, mais pas de réfugiés. En effet, ceux qui ont fui leur pays se retrouvent dans ces camps sans droit, juste celui d’être assisté (mal logés et mal nourris), et surtout pas pour le droit d’asile. La non volonté politique du gouvernement polonais est implacable.
Encore l’enfermement indigne, auquel assistent, impuissants, les artistes de la caravane. La force de leur témoignage et la fête foraine offerte aux enfants du camp leur apportent des moments de bonheur, des brides de liberté dans la joie partagée, qui les arrachent un instant à leur prison du quotidien. En échange, ces réfugiés ignorés ont des gestes de générosité en offrant des repas, des danses et des chants qui contrastent avec la mesquinerie de cette Pologne, de cette Europe qui bafouent leur droit d’asile.
Ils ne leur restent que cela, leur culture, en partage, en toute liberté qu’aucun Etat, qu’aucune autorité ne peuvent leur arracher.
Au détour d’un couloir, une femme les entraîne dans la chambre de sa fille, onze ans, handicapée et couverte de taches grises, muette suite au souffle d’une bombe. Elle ne reçoit aucun soin. Là , seuls les regards lourds des artistes face à la détresse de cette famille sont filmés car ils ne peuvent rien faire. L’art est impuissant.
De retour en France, les artistes bretons de la caravane enverront un fauteuil roulant pour le jeune fille, ils saisiront aussi les députés européens de leur région pour amorcer une démarche politique….
Au milieu des ruines, dans la prison des frontières, dans les murs des camps sans droit, la permanence de l’artiste devient contestation et résistance pour les peuples opprimés.
La solidarité culturelle, belle exemple de la caravane BABEL CAUCASE dans sa naïveté et son partage immuable, libère, par des instants successifs, ces peuples. Les artistes de la caravane espèrent toquer, ainsi, toujours plus fort à la porte des consciences des citoyens et des politiques de l’Europe pour qu’enfin les choses changent.